S’informer autrement

 Les grands médias n’inspirent plus confiance. Une autre information est-elle possible ? Nous répondons : « OUI ! » et vous présentons quelques « réflexes d’auto-défense intellectuelle » ainsi qu’une liste de médias connus ou non, qui permettent de diversifier ses sources.

mouette-debatDe la même manière qu’il existe une crise de confiance envers le personnel politique, les « grands médias », inspirent une défiance croissante. Et plutôt à raison…

Les médias à grande diffusion sont pour la plupart englués dans une logique d’audimat, ils ne relaient que ce qui fait vendre, ce qui marche, ce qui est « sexy », comme on dit dans le jargon. La dernière petite phrase de tel homme politique, le dernier scandale, la dernière catastrophe… L’info est évanescente, aussitôt dite, elle est aussitôt évacuée par une autre nouvelle encore plus angoissante, ridicule, pathétique, bref déprimante. Loin de faire son travail de pédagogie, d’éducation de tous par le biais d’une information de qualité, l’immense majorité des messages reçus par la population relève du fait divers, grossi et amplifié, ou de la reprise d’un discours dominant, car socialement accepté par la profession.

Médias français : qui possède quoi ? A visiter sur le Monde diplo (oct 2016)

D’autre part, ces grands médias, ou « médias de masse », sont détenus par de grands groupes industriels, et/ou par des personnalités politiques. Leurs contenus éditoriaux ont donc de fortes chances d’être influencés par leurs propriétaires.

Nous identifions donc deux grands enjeux : d’une part, une information appauvrie, « déséduquante » et pessimiste et d’autre part, des médias soumis aux intérêts économiques et politiques.

Bon, enfin tout ça, vous le savez sûrement déjà. Donc quid des solutions ? Comment faire pour « s’informer autrement » ? Comment accéder à une information riche et optimiste, porteuse d’espoir plutôt que de résignation ? Comment accéder à une information indépendante des intérêts dominants, de ceux qui ont déjà les moyens d’imposer leur volonté ?

Sans prétendre détenir LA solution, il nous semble que nous avons toutes et tous le moyen de changer notre manière de « consommer de l’information ». Cela passe notamment par A, des réflexes à acquérir, et B, une diversification de nos sources d’information.

A/ Deux réflexes de « survie informationnelle »

1- Savoir repérer d’où vient l’information. 

C’est en théorie assez facile : Un coup d’œil au « qui sommes-nous » du site internet, ou à « l’ours* » du journal papier permet d’en apprendre plus sur le média, ses rédacteurs, ses financeurs, etc. Dans la pratique, il faut parfois regarder d’un peu plus près. Cela peut mettre d’ailleurs la puce à l’oreille : qui a intérêt à masquer son identité ? Si c’est un lanceur d’alerte, quelqu’un de menacé, cela semble logique. Si c’est un média, c’est déjà plus problématique. Pour se renseigner sur l’identité d’un média qui avance masqué :

  • On peut effectuer une recherche sur Internet avec des mots-clés comme « financement », « fondateur » ou « domiciliation »
  • On peut chercher dans les mentions légales du site internet. Généralement, ça se trouve en bas de page, en tout petit. Mais parfois cela ne suffit pas : les infos sont incomplètes, trop anonymes.
  • Enfin, assez simple, il y a la solution « who is ». En allant sur ce site puis en tapant le nom du média, on en apprend davantage sur l’hébergement du site en question, son fondateur, son numéro de téléphone, etc. Après, il n’y a plus qu’à investiguer sur ces données !

*L’ours, c’est ce petit encadré fréquemment situé en deuxième ou en avant dernière page du journal qui indique les mentions légales (directeur de publication, adresse, imprimeur, etc.)

2- Savoir repérer une information de qualité. 

Cela peut sembler un peu péremptoire de décréter qu’une information est de bonne ou de mauvaise qualité. Pourtant, ce jugement s’appuie sur des critères:

  • Une information enrichie : plus qu’une simple reprise de faits (dépêche AFP par exemple), l’article vient donner des renseignements supplémentaires et/ou un regard particulier : un « angle », dans le jargon journalistique.
  • Une information contextualisée : Le lecteur peut savoir où s’est produit l’évènement qui est raconté, quand il s’est déroulé, comment cela s’est passé, qui est impliqué et pourquoi de tels faits se sont déroulés. Ce sont les fameux 5 W : what, who, where, when, why (et how).
  • Une information sourcée : Le lecteur peut facilement identifier d’où proviennent les informations. Ainsi, il pourra vérifier si l’article ne trahit pas la source originelle, voir dans quel contexte a été produite l’information, et mener son propre travail d’enquête. Bien sûr, ces sources doivent (autant que faire se peut) être contradictoires afin que le lecteur puisse se faire une opinion la moins biaisée possible.

crashtestdummy-2-8544bLe crash test de l’info : une grille d’analyse à garder en tête

L’info ne peut pas être 100% objective, neutre… elle est le fruit d’une réflexion, d’un travail humain. Humain qui est historiquement, socialement, économiquement situé. Une part de subjectivité s’appliquera donc toujours sur le travail d’un journaliste. Mais on peut s’assurer que cette subjectivité reste honnête. Avec elle-même, et avec les lecteurs.

  • L’information est-elle un fait ou un commentaire ?
  • Les faits sont-ils précis et exacts ?
  • L’information est-elle basée sur une investigation préalable ?
  • Les sources sont-elles nommées et recoupées ? 
  • L’information prend-elle en compte une diversité de points de vue et des positions contradictoires ?
  • Y a-t-il absence de partis pris et de conflits d’intérêts ?
  • La présomption d’innocence est-elle respectée ?
  • Les éventuelles erreurs sont-elles rectifiées ?

B/ Une rivière de nouveaux médias, pour diversifier ses sources

Nous avons basé cette liste sur une définition de « médias libres » qui seraient fidèles à l’esprit du journalisme (fournir des clés de compréhension du monde) et qui respectent tout ou partie des critères cités plus bas.

Les “économiques” :

  • Alternatives économiques : Magazine économique proches des théories keynésiennes et post keynésiennes. Il accorde beaucoup de place aux questions socio-économiques.
  • Socialter : Magazine de “l’économie nouvelle”, il s’intéresse aux nouvelles formes d’échanges, sociaux et économiques. Il fait partie de cette nouvelle génération de médias qui entend provoquer l’action de ses lecteurs.

Les “incontournables” :

  • Le Monde diplomatique : Mensuel faisant partie du groupe “Le Monde” mais dont la ligne éditoriale indépendante est garantie par une participation au capital par les lecteurs (25%) et par la rédaction du journal (24%), ainsi qu’une limitation volontaire des revenus tirés de la publicité (5%).
  • Bastamag : média engagé, très militant, sujets sociétaux. Très qualitatif.
  • Médiapart : Connu pour ses enquêtes et son côté « poil à gratter ».
  • Reporterre : Un quotidien de l’écologie au contenu souvent riche : les articles sont parfois copieux…mais tant mieux !
  • Wedemain : magazine trimestriel qui interroge l’avenir. Une vision un peu technologique souvent, que l’on pourrait aussi qualifier de “bobo” par ses intérêts sociologiques. Mais avant tout, des articles riches et une prise de recul intéressante sur l’actualité.
  • Regards : A gauche et écolo, le journal est une institution (créée en 1932 et ressuscité en 1995 après une pause de trente ans.) Exigeant et documenté, le parti-pris des articles est assumé, et parfois réellement nuancé.
  • Politis : Hebdomadaire d’actualité politique et sociale qui se réclame de la gauche anti-libérale et écologiste. Si la revue papier semble de plus en plus “légère”, la version web offre de nombreux articles de qualité.

Les “positifs” :

  • PositivR : Certains le qualifierait de naïf, mais ça reste une source d’inspiration et un bon relais d’infos et d’initiatives positives.
  • Efficycle : Le concept : rassembler des contenus qui viennent de divers médias « positifs, écologiques, innovants… ». C’est donc un bon moyen de trouver de l’info dans le domaine qui vous intéresse, avant de passer à la lecture des articles, directement sur les supports en question.
  • Lesgoodnews.fr : Encore un « diffuseur d’infos positives » aux contenus et thématiques varié(e)s.

Les “concrets” :

  • Kaizen : Magazine issu du mouvement des “Colibris”, il signifie littéralement (en japonais) “changement meilleur”. Il présente de l’information positive, écologiste et militante. L’objectif: faire advenir le changement, pas à pas. Une large place est accordée à l’individu dans la transition.
  • L’âge de Faire : Sans publicité, le magazine est également diffusé selon un modèle artisanal. La ligne éditoriale est militante, écologiste et fait la part belle aux alternatives concrètes (comme le nom le laisse présager).
  • Sans Transition : Un nouveau magazine qui s’adresse aux “citoyen-nes engagé-es”. La particularité : une édition régionalisée (Bretagne – Occitanie – Provence) pour coller aux actualités du monde “de la transition” au niveau local.
  • Consommation collaborative : le site de la MAIF fait vraiment de l’info « gratuite », dans le sens où on a pas le logo de l’assureur à tout instant. On sent la volonté de voir émerger une société plus collaborative et un point de vue distancié sur ce monde (tout ne se vaut pas).

Les “libéraux” :

  • Contrepoints : Soutenu par le mouvement des libéraux, le mag en ligne se veut le reflet de la diversité de ce mouvement. Intéressant, avec des articles critiques étayés par des bibliographies riches.
  • Atlantico : Magazine en ligne proche du think tank, à tendance libérale (marqué à droite).
  • Limite : contenu varié proposé par une rédaction atypique : des chrétiens radicaux à tendance décroissante ! Assez unique.

Les “très à gauche” :

  • Mémoire des luttes : C’est marqué comme nom, mais pas forcément les articles. Les quelques-uns parcourus nous ont fait du bien : des mots simples mais des idées complexes. Tout ce qu’on aime dans le journalisme de qualité.
  • Fakir : le magazine de ceux qui ont « lancé » Nuit Debout : radical et à gauche.
  • Medias-libres.org : la possibilité de se concocter un panel de sources, au choix, parmi une vaste liste de médias indépendants. Plutôt marqués à gauche, voire franchement « anars » pour certains. Il faut faire du tri. Heureusement, c’est plutôt facile à faire grâce au site bien conçu.

Les “artisanaux” :

  • Lutopik : magazine militant mais non affilié politiquement, il est “trimestriel, artisanal et vagabond” car réalisé par une rédaction itinérante, qui prend le temps de rencontrer ses sujets. Il présente des alternatives au modèle dominant.
  • S!lence : une revue, un site mais surtout une idéologie écolo radicale et non violente. Depuis 1982, ils survivent. Peut-être grâce au travail fourni par les nombreux bénévoles et la petite équipe d’employés (tous au même salaire).
  • Decroissons.wordpress.com : Site très orienté « pratiques vers l’autonomie », il recèle quelques perles dans le chapitre « décroissance ».
  • Bondy Blog : Plus tout à fait artisanal puisqu’il s’est progressivement professionnalisé depuis sa création, cela reste le fruit d’une association. Le site porte la voix des quartiers populaires, trop souvent oubliée. Bien sûr, ils ne sont pas non plus eux-mêmes représentatifs de l’ensemble des populations des quartiers populaires. Mais cela offre un point de vue souvent dissonant.

Les “web-vidéo” :

  • On passe à l’acte : plus de 400 porteurs de projets alternatifs rencontrés, le site est une mine d’info en vidéo. A grignoter ou à dévorer.
  • Le fil d’actu : des vidéos sous forme de mini-journal télé. Une journaliste face caméra et un ton impertinent pour de l’info documentée et commentée.
  • Datagueule : des vidéos en motion design claires et concises qui reprennent des données chiffrées pour illustrer des sujets d’actualité.
  • Alterjt.fr : Lancé à l’initiative du collectif « les désobéissants », le site propose un traitement décalé de l’actu en images et en sons, oui, de la vidéo quoi. Le contenu est de bonne facture, les collaborateurs étant tous des pro de la caméra ou du montage.
  • Sideways : des mini docu sur des modes de vie marginaux (souvent des portraits). Un point de vue poétique et inspirant et une grammaire de l’image finement maîtrisée.

Et parce que les sources d’informations ne sont pas nécessairement des médias (presse) :

  • Les magazines d’ONG (Aide et Action, Oxfam, Greenpeace, Secours populaire, etc.) : la plupart sont en accès libre !
  • Les sites d’université, de chercheurs
  • Les réseaux sociaux engagés : Horyou (un réseau social pour partager ses idées et échanger sur des expériences positives), Up Campus (un réseau social des acteurs positifs engagés), on peut également trouver des groupes Facebook thématiques (écologie, partage, collaboratif, société…), des forums de voyageurs
  • Les éditeurs engagés : Les liens qui libèrent ; Charles-Léopold-Mayer (éditions de la fondation) ; Actes Sud (collection Domaine du possible) ; Seuil (Collection Anthropocène) ; Rue de l’échiquier 
  • Les documentaires vidéo : le site Culture Documentée met à jour régulièrement une liste de documentaires en accès libre sur Internet, des internautes proposent également des listes sur le SensCritique, d’autres références sur le site de David Myriam ou ce groupe facebook @Docsengages

Quels sont les critères des « médias libres » ?

  • L’indépendance : autonomie financière grâce aux abonnements (ou autre), liberté de ton, pas de préoccupation de ce qui est dit dans d’autres médias, de ce qui fait « le buzz », pas de frilosité à dénoncer des scandales, malgré les possibles retombées négatives pour eux…
  • Une structure démocratique : organisation du travail plus horizontale que dans les rédactions traditionnelles, entraînant une plus grande liberté des rédacteurs vis-à-vis du « rédac’ chef » ou du « Directeur de publication »
  • Des sources multiples et diversifiées : les articles indiquent les sources en bas de page, et ces sources ne proviennent pas d’un même microcosme
  • Des contenus partagés en « copyleft » ou en « creative commons » : les droits de reproduction et de rediffusion sont cédés à titre gratuit
  • Une tribune citoyenne et populaire : la parole est donnée aux « sans-voix », à ceux qui n’ont pas l’oreille des grands médias, les articles se veulent faciles d’accès et tentent d’éliminer le jargon journalistique, le prix du support reste accessible à tous
  • Des médias pour l’action : l’objectif du média est de stimuler l’action citoyenne, la création alternative et le changement vers plus de justice en montrant et en partageant différentes expériences d’engagement citoyen et solidaire
  • Une mission d’éducation populaire : beaucoup de médias libres se donnent une mission d’éducation populaire

Un point d’attention : Parmi les médias qui se revendiquent libres figurent des imposteurs. Sous couvert de n’être affilié publiquement à aucun parti ou grand groupe industriel, ces médias masquent leurs appartenances et leurs financements. De même, leurs articles, sous l’apparence d’une grande richesse de sources, ne font en réalité appel qu’à un même monde, auto-alimenté (les sites sources sont les sites partenaires).

Pour aller plus loin

Les écueils d’Internet (morceaux choisis de l’ouvrage « S’informer, décrypter, participer ! » de Ritimo, 2016)
« En offrant une information affinitaire et à la carte, Internet a produit de nouvelles œillères dans le champ de vision de ses usagers. Chaque citoyen, en recherchant des informations selon ses propres intérêts, avec ses propres sites de prédilections, ses propres relais d’information, s’informe peu en dehors des champs qu’il a lui-même balisés. Aussi, au lieu d’ouvrir sur le monde, Internet peut tout autant contribuer à réduire le champ de vision des internautes*. Guidés par l’obsession du clic et de la médiamétrie, les journalistes se sont emparés de cette tendance à la personnalisation de l’information et l’emmènent rarement vers des terrains qui leurs sont moins connus ou évidents. Ce qui nuit à l’information et enferme davantage les lecteurs dans leurs sujets et leur vision du monde. »
*cf. le système de  recommandations : « vous avez aimé telle vidéo, vous aimerez sûrement celle-ci ». Présents sur de nombreux sites, ce système entraîne l’internaute à ne visionner que du contenu de son champ de préférence

Trier les sites d’infos : Comment repérer les sites d’informations qui se disent libres mais ne le sont qu’en apparence ? Voici des éléments facilement repérables qui démontrent un parti-pris « malhonnête », une subjectivité qui avance masquée, soit par volonté de désinformer, soit par simple manque de déontologie journalistique :

  • L’omission ou la négation de faits
  • L’expression de faits non vérifiables par le lecteur
  • Une info incomplète, tendancieuse ou fausse (commentaires orientés)
  • L’estompement ou la surinformation: une info est noyée dans d’autres qui n’ont aucun rapport
  • La diabolisation : dénigrement d’une personne, vision manichéenne de la société (les gentils d’un côté, les méchants de l’autre)
  • L’interprétation : présentation orientée de faits pour faire parvenir le lecteur à une conclusion, sans étayer ses arguments sur des faits solides

Fonctionnement d’une salle de rédaction : Pour plus de détails sur le fonctionnement d’un organe de presse, vous pouvez consulter le site 24hdansuneredaction.com, réalisé par l’école ESJ Lille et le CFI (Canal France International), l’agence française de coopération médias.

Charte de Munich : C’est la référence déontologique de la profession de journaliste.

Charte des médias libres : fmml.net

Décodex :  Le service des « décodeurs » du Monde développe un outil pour trier les sites d’informations. On y trouve également d’autres moyens de pratiquer soi-même ou pour des élèves, une éducation à l’information (par exemple : comment lire un sondage ou encore, comment reconnaître une théorie complotiste). L’outil est d’ores et déjà critiqué pour son parti-pris et le fait que Le Monde soit à la fois « juge et partie ». A lire notamment, cette critique de reflets.org, qui souligne les carences de décodex. Cela semble néanmoins un outil utile pour se faire une première idée, avant de vérifier par soi-même !

Note : Plusieurs passages de cet article ont été tirés de l’excellent ouvrage de Ritimo « S’informer, décrypter, participer ! ». Merci à son auteure, Myriam Merlant, pour son travail impressionnant de compilation et d’analyse.


Les étapes du changement – Consulter les autres articles de la série

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